Opération Torch, mon hommage radiophonique aux résistants d’Alger qui ont permis le débarquement allié

https://www.franceinter.fr/emissions/autant-en-emporte-l-histoire/autant-en-emporte-l-histoire-16-avril-2017

Dans la nuit du 7 au 8 novembre 1942, les Anglo-Américains débarquent à Alger.  400 jeunes hommes armés de vieux fusils ont réussi à s’emparer des points stratégiques de la ville, à tenir en respect plus de 12 000 soldats de Vichy et ainsi, à ouvrir la voie aux libérateurs. Ils s’appelaient José Aboulker, Jacques Zermati, Jean Daniel, Bernard Karsenty… Juifs pour la plupart, ils avaient 20 ans, tous bien décidés à en finir avec Pétain et Hitler. Ma fiction pour l’émission « Autant en emporte l’Histoire » du 16 avril 2017. Lire la suite

Moissac, une ville de Justes

Mon doc sur France Culture

https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/histoire-du-pantheon-24

Esplanade des Justes sur les bords du Tarn
Esplanade des Justes sur les bords du Tarn Crédits : Véronique Samouiloff – Radio France
La maison des enfants
La maison des enfants Crédits : Véronique Samouiloff – Radio France

Moissac, ville de Justes

Histoire d’un sauvetage pas comme les autres

A la colonie sur le quai des Juifs : « y avait ben d’la gaité » Un ancien de Moissac

Un documentaire de Brigitte Stora et Véronique Samouiloff

De 1939 à la fin de la guerre, Moissac, une petite ville du Sud Ouest de la France, (9 000 habitants) a abrité une maison d’enfants juifs. 500 enfants venus de tous les coins d’Europe y ont été recueillis. Tous ont échappé à la déportation. Grâce au courage de Shatta et Bouli Simon, un jeune couple membre des éclaireurs israélites de France qui la dirigeaient et surtout grâce à la complicité de toute la ville, cette maison située sur les bords du Tarn a échappé à la barbarie nazie. C’est le maire de l’époque, Roger Delthil qui avait mis à leur disposition cette maison, il avait donné le ton en demandant à toute la population d’accueillir les refugiés. Les enfants allaient à l’école communale avec les enfants moissagais, jouaient dehors, nageaient dans le Tarn, pratiquaient leur religion. Et ce au vu et au su de toute une ville. Et quand en 1943 la zone libre ne l’a plus été, les enfants ont tous été cachés dans des failles alentour. Certains bien sûr à Moissac ont été reconnus « Justes parmi les nations »*. Mais le plus extraordinaire reste la complicité silencieuse et bienveillante de toute une ville. L’ensemble de la municipalité, les habitants, les professeurs, les paysans, tous ont participé au sauvetage de ces enfants. Cette histoire exemplaire et porteuse d’espoir permet aussi un éclairage sur l’attitude de nombreux Français, résistants et justes anonymes.

*Les « Justes parmi les Nations » de Moissac

Quatre Moissagais reconnus « Justes parmi les Nations » :

Manuel Darrac : secrétaire de mairie. Il a été l’artisan d’un véritable atelier de fabrication de fausses cartes pour les enfants de la maison.

Alice Pelous : elle était l’assistante de Manuel Darrac à la mairie. Elle fabriquait avec lui de fausses cartes d’alimentation et d’identité pour les enfants de la maison.

Jean Gainard : il était charbonnier à Moissac. Il a caché des enfants et donné son identité à certains responsables de la maison.

Henriette Ducom : elle a donné son identité à Elisabeth Hirsch, lui permettant ainsi de faire sortir de nombreux enfants des camps de Gurs et de Rivesaltes.

Plaque commémorative sur la place Bouli et Shatta Simon
Plaque commémorative sur la place Bouli et Shatta Simon Crédits : Véronique Samouiloff – Radio France
Médaillons commémoratifs sur la place Bouli et Shatta Simon
Médaillons commémoratifs sur la place Bouli et Shatta Simon Crédits : Véronique Samouiloff – Radio France

 

Elle s’appelait Sarah Halimi

Elle s’appelait Sarah Halimi

Est ce le résumé de tout ce que je veux écrire?

Est-ce un titre ? Un chapô, une prémonition, une conclusion, une chute?

Elle s’appelait Sarah Halimi et ces deux noms cognent un peu trop fort à nos mémoires.

Certains réclament vengeance, d’autres sont en prière. Peut être nous faut-il des mots, ceux qui manquent. Dramatiquement, incompréhensiblement. A ce jour, pratiquement seule la presse « communautaire  » en a parlé. Dans la colère, voire l’outrance, souvent, hélas.*

Nos grands médias pourtant si bavards, si prompts à décrire les frasques sexuelles d’un homme politique ou les confidences aigries d’une femme trompée… Cette presse si friande de petits riens et autres phrases débiles glanées au milieu de discours politiques, ces médias dont beaucoup auront apporté leur pierre à cette drôle de « décivilisation » qui nous défait tous lentement mais sûrement, ceux-la n’ont pas encore relaté ce terrible meurtre commis mardi dernier à Paris dans le 11e arrondissement.

Sarah halimi, médecin et directrice de crèche a été assassinée dans la nuit de lundi, battue puis défenestrée vivante de son balcon du 3 e étage Que ceux qui croient revoir une triste scène du Pianiste de Polanski quittent la salle et rangent leur paranoïa … à moins qu’avec de Niro, on puisse redire sa réplique « n’oublie pas que même les paranos ont des vrais ennemis… »

Et ces ennemis tuent encore. Son assassin est un jeune homme de 27 ans, un voisin « déséquilibré ». Certains n’ont mentionné que sa religion « musulman » car, à leurs yeux, cela devrait immédiatement signer le crime… D’autres ont écrit un peu vite qu’il parlait arabe, ce qui est peu probable chez cet homme d’origine africaine. D’autres ont parlé de coran brandi, de coups de couteau, ce qui n’est pas avéré. Mais des voisins auraient bel et bien entendu Alalou Akbar, le fils de Sarah aurait évoqué d’autres agressions, des insultes antisémites répétées. Aicha une voisine de Sarah, rencontrée dimanche à la marche tient pourtant à me dire : « vous savez, on vit tous ensemble finalement » et elle me murmure : « c’était un drogué, il insultait tout le monde »… Une enquête est en cours. Le procureur de Paris, François Molins a répondu aux inquiétudes en acceptant d’échanger sur l’enquête en cours. Il a expliqué qu’à ce jour, il était « impossible » de savoir s’il s’agissait « d’un acte antisémite ou pas ». Dans le « ou pas » se loge désormais la vigilance républicaine dont on doit se féliciter. Selon lui, rien ne permet de retenir le caractère antisémite et rien ne permet de l’exclure.

Avant d’entrer par le balcon de sa voisine, le meurtrier aurait d’abord tenté de pénétrer chez ses voisins maliens … Voilà qui fragilise la thèse d’un meurtre antisémite prémédité. L’histoire devrait-elle pour autant s’arrêter là ? N’aurions-nous le choix qu’entre la « désinformation » et le silence? Quel est ce non lieu qui vient contrer les « rumeurs ». Quel est ce nom « juif » qui toujours excède, un nom qui, s’il n’est pas crié doit vite être effacé? Et si la vérité était au milieu? Et si la judéité de Mme Halimi avait été une circonstance aggravante, un accélérateur de déséquilibre? La chose hélas ne serait pas nouvelle. Peut être n’en saurons-nous jamais rien. Pourtant même s’il s’agit d’une femme anonyme défenestrée par un assassin sans nom, ce crime atroce et pour le moins singulier aurait peut-être mérité une indignation et un traitement médiatique autre. Il m’est difficile d’oublier que la défenestration d’un chat, l’an dernier, avait alors bien davantage fait couler encre et larmes…

J’étais dimanche à la marche blanche, bouleversée par la dignité pleine de chagrin de ces Juifs du quartier pour la plupart. Étonnée et rassurée encore une fois de l’écart qui existe entre la « décence ordinaire » de ces gens dont parlait si bien Orwell et les gesticulations de certains « représentants » et autres irresponsables communautaires. Plus de mille personnes endeuillées ont défilé, la plupart tenaient une rose blanche que nous sommes allés déposer dans le jardin intérieur de l’immeuble, là où Sarah a trouvé la mort.

Certains portaient des pancartes : « Nous sommes trop gentils, souvenons-nous de Varsovie ». Le passé est décidément trop lourd, la longue solitude juive que j’ai un peu racontée trop présente encore pour que l’on puisse se satisfaire d’un entrefilet dans la presse. D’un « circulez y’a rien à voir ».

Il y a à voir, à informer à essayer de comprendre, peut être même à y renoncer, il y a à s’interroger et surtout il y a à pleurer.

* Le Crif, face à de folles rumeurs aux relents parfois nauséabonds a choisi, avec une grande dignité, la prudence.

 

 

lettre à Bob

Siné fut longtemps un ami, je ne lui parlais plus mais j’ai parfois idée qu’il pourrait recevoir ma lettre posthume …

Il y a des chroniques qu’on ne devrait pas écrire, de celles qui vont un peu plus vous faire haïr par vos ennemis mais surtout qui vous fâchent avec vos amis. La sagesse n’est pas mon fort et c’est aussi pour cela que longtemps, j’ai aimé Bob Siné.

 

 

Cela fait des années déjà que je ne te voyais plus. Ces années noires où tes « déconnades » ne me faisaient plus rire… Longtemps j’ai adoré ton insolence, ton côté gamin espiègle jamais grandi, hors règles, hors du commun, parfois aussi hors-jeu.

Bob, on aura beaucoup écrit sur toi. La mort de chacun de tes anciens camarades aurait dû faire couler beaucoup plus d’encre que de sang mais ils furent fauchés d’un seul coup et chacune de leur lumière sembla se fondre dans cette commune déflagration. Il est vrai que parmi tous tes anciens camarades, tu auras été presque le seul à mourir dans ton lit.

Je te dois pourtant l’insigne honneur d’avoir rencontré chez toi une personnalité lumineuse, celui que tu appelais ton neveu, Stéphane Charbonnier dit Charb, aussi insolent, aussi doué que toi. Mais si ta sensibilité et ton talent semblaient te dispenser de « réfléchir », chez lui cela fonctionnait plutôt comme un levier pour la pensée. Ton « neveu »… dont la clairvoyance et le courage lui auront couté la vie.

Je n’oublierai pourtant pas ces fêtes, ces fameuses parties de rigolade, quand au milieu d’une conversation sérieuse, tu cassais le cadre ou quand, dans des lieux huppés, tu étais capable d’ôter ton pantalon à la fin d’un repas toujours très arrosé et de montrer ton cul tout naturellement. Chez toi, j’ai retrouvé les crises de rire adolescentes quand, au lieu d’écouter les cours au collège, nous lisions sous la table Pilote ! Je n’oublierai pas non plus ta générosité ni cette forme étrange d’ingénuité commune à ceux qui tiennent tête à la vie en faisant chaque jour un doigt d’honneur au temps et à la mort.

Mes amies m’en voudront mais je crois que tu n’étais pas misogyne malgré tes gestes et incroyables horreurs que tu pouvais proférer. Cette façon de dire en guise d’hommages : « t’es une vraie salope toi !!! » avec ce regard enfantin perpétuellement étonné a toujours désarmé les baffes que j’aurais mises à n’importe qui d’autre pour bien moins que ça… Mais jamais tu n’aurais harcelé, méprisé ou maltraité une femme.

Bob, malgré tous tes efforts, pour te rendre odieux, je ne te prenais pas au sérieux. Et je me disais aussi qu’on ne pouvait pas dessiner ces petits porte-jarretelles affriolants avec autant de gourmandise sans aimer les femmes…

Homophobe ? Comme beaucoup de ta génération, tu considérais l’homosexualité comme une « anomalie », c’était bien aussi la limite de ton côté libertaire et de ta compréhension du monde… Tu n’avais pourtant pas de haine même si « enculé » était évidemment ton insulte favorite. Les mots que tu as écrits sur la Gay pride étaient juste inqualifiables, impardonnables, ils flirtaient avec cette « ligne rouge » que l’insolence de Charlie hebdo n’avait pourtant jamais franchie ; celle de l’anathème et du mépris. Même si ta volonté de choquer était infiniment plus lourde que la force de tes préjugés.

Antisémite ? Il y a désormais une « affaire » qui porte ton nom et il n’est pas anodin qu’elle soit devenue une ligne de partage entre ceux qui veillent et ceux qui consentent.

Je sais que tu as toujours fait partie de ces drôles d’athées qui n’en finissent pas de proclamer la mort de Dieu. Tu avais cela en commun avec bien des Juifs, tu étais « fâché » avec Dieu car il avait « permis » le malheur du monde, le colonialisme, la traite des Noirs et aussi Auschwitz. J’ai adoré tes mémoires « ma vie, mon œuvre mon cul » que ton « ennemi » Philippe Val eut un jour la bonne idée de te commander.

Je me souviens de tes dessins toujours plus éloquents que tes mots : j’ai lu et regardé ton immense désarroi devant les rescapés des camps. Désarroi qui semblait s’être figé dans ton regard. La découverte de ce cataclysme t’avait alors dévasté : « Le regard des rescapés, dont les silhouettes derrière les barbelés évoquaient plus des squelettes que des hommes et des femmes, était insoutenable et semblait nous accuser tous de duplicité. Aucun chagrin, aucune pitié ne pourrait jamais compenser de telles atrocités. Le monde civilisé avait sombré dans la barbarie et l’on pouvait se demander s’il s’en remettrait jamais. »

Si Auschwitz avait définitivement disqualifié toute idée du bien, si le monde qui avait permis cela ne pouvait plus désormais se prévaloir d’une quelconque morale, si le nihilisme en sortait renforcé, alors au nom de quoi pourrions-nous empêcher que l’horreur se reproduise ? Et si le nazisme avait finalement gagné ? Les sages paroles de Bakounine avaient alors toute leur saveur  » si Dieu existait, il faudrait songer à s’en débarrasser ».

Tu avais cette façon paillarde d’incarner à toi tout seul la si belle chanson de Léo Ferré « Thank you Satan ».

Pendant la guerre, tu n’étais qu’un adolescent. Mais tu t’en es voulu de n’avoir pas vu passer ces trains-là. Adulte, il n’était plus question de rater une rame. Le train de la lutte anticoloniale sifflait déjà, session de rattrapage s’il en fut, il embarqua avec lui les mauvaises consciences nées de cette guerre-là. Ceux qui comme toi trouvaient leur peau trop blanche, leurs yeux trop bleus… pour être honnêtes. Et c’est dans le wagon de première classe que monterait tout naturellement la « juste lutte du peuple palestinien »

Comme tout le monde, tu avais un vrai respect pour tous ces Juifs morts. Mais les vivants ! Ils n’allaient pas continuer à te « casser les burnes » ! Après avoir inventé ce Dieu aussi implacable que la conscience elle-même, voilà qu’ils remettaient ça sur le tapis avec, cette fois, la mauvaise conscience. Si encore ils étaient restés ce que de tout temps, ils furent… S’ils t’avaient permis un peu de ce rachat si convoité ; mais les voilà armés, blindés, nucléarisés, n’attendant plus rien du monde. Te privant de ce Grand Pardon non partagé…

Ces Juifs qui rappellent ce passé, la guerre et la mort, ces empêcheurs de jouir en rond. Les seuls que ton ami Jean Genêt ne pouvait pas imaginer baiser. Ces Juifs « indésirables » dont le malheur a oblitéré du sceau de la culpabilité ta « pauvre identité nationale », déjà fort mal-en-point. Mais Genêt n’était pas Céline, et quand il avait écrit « Si elle ne se fût battue contre le peuple qui me paraissait le plus ténébreux, celui dont l’origine se voulait à l’origine, qui proclamait avoir été et vouloir demeurer l’Origine, le peuple qui se désignait Nuit des Temps, la révolution palestinienne m’eût elle, avec tant de force, attiré ? ». C’était au temps où l’antisémitisme demeurait un tabou, où la haine proclamée des Juifs et d’Israël était encore politiquement incorrecte et délicieusement iconoclaste…

Peu à peu la levée de ce « tabou » t’est apparue comme un nouvel « affranchissement », la politique d’Israël t’a servi de laxatif et la jubilation de faire sauter morale et verrous t’a jeté toujours plus loin dans les bras de ces « anars d’extrême droite », de ces « rouge brun ». Te voir, aux côtés de Soral et Dieudonné m’a définitivement éloignée de toi. Te savoir encensé par les sites islamistes ! J’ose imaginer que cela t’a quand même un peu fait mal aux seins !

Après la triste « affaire » qui porte ton nom, tu as fini par te vautrer avec de vrais antisémites, faux rebelles et « asservis volontaires » prêts à toutes les mésalliances, guidés par la seule obscure boussole de la haine. Beaucoup d’entre eux n’ont pas hésité à cracher sur les cadavres encore chauds de tes anciens camarades. Tout cela, plus que tes injustifiables propos demeure inqualifiable, inexcusable.

Les temps avaient changé Bob ! Et toi, coincé dans le formol ou l’alcool, tu faisais semblant de ne rien voir… Car aujourd’hui, il n’y a rien de moins « anticonformiste » que cette nouvelle et sans doute ancienne « passion antijuive » à nouveau au top des détestations mondiales.

« Ils ne nous pardonneront jamais ce qu’ils nous ont fait » dit l’un des acteurs du film d’Axel Corti dans Welcome in Vienna. Ils ne nous le pardonneront pas car pour certains, et je crois que tu en fis partie, ils ne se le sont jamais pardonnés, dans ce faux jeu de miroirs où la responsabilité individuelle s’éclipse devant une « culpabilité collective » fantasmée.

Tu auras, peut-être sans le vouloir, du moins je l’espère, fait du mal à Charlie, aux tiens…

Il y a peu de chances que cette lettre te parvienne et je ne crois pas plus que toi au paradis. Pourtant, j’ai envie de t’imaginer entouré de tous tes vieux « potos », tous ceux qui n’ont pas eu la chance de vivre aussi longtemps que toi. Tous ces vrais gentils de Charlie, lâchement assassinés en janvier 2015 qui vont peut-être te retrouver, et auront encore la générosité de te pardonner et de te payer encore un coup à boire. En tout cas moi, je l’espère car aujourd’hui, j’ai quand même du chagrin.