Un affranchi nommé Zemmour

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Un affranchi nommé Zemmour

L’ancien polémiste et « bon client » des médias, Eric Zemmour s’est mué depuis longtemps déjà en un idéologue d’extrême droite. Ses phrases assassines, ses appels à la haine raciale ont été régulièrement condamnés par les tribunaux mais loin d’éloigner ses soutiens et ses employeurs, ce sont précisément ses franchissements de ligne rouge qui lui ont valu des invitations redoublées sur les médias et des records de vente pour ses livres.
Eric Zemmour n’a pourtant rien inventé, ses propos sont ceux de l’extrême droite historique (y compris sa défense de Pétain qui n’est rien d’autre que la ligne de défense du maréchal à son procès). Son programme depuis toujours radote : il faut défendre la France menacée, déclinante ou « couchée » contre l’invasion menaçante étrangère. Quant à sa posture, elle s’inscrit, elle aussi, dans une continuité du populisme et du fascisme qui de Mussolini à Trump a su aussi utiliser la clownerie comme une de ses armes. Redoutable clownerie qui convoque les ricanements en connivence et désarme la vigilance.

Zemmour tout comme le Pen en son temps s’enorgueillit de « dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas ». Et à droite, ce n’est pas faux hélas. C’est lui qui depuis des années donne le la à la pensée réactionnaire, lui qui, le premier, qualifia les féministes et #MeToo de « délatrices », lui qui ricane à voix haute devant les sigles LGBTQ+, lui qui ne s’encombre pas de circonvolutions pour dire sa haine de l’islam, des réfugiés, des exilés, des jeunes etc. La théorie du « Grand Remplacement », qui pour l’assassin de Christchurch allait devenir un permis de tuer, sont autant de thèmes largement partagés par la droite identitaire.

Zemmour est un soldat zélé de la bataille culturelle que la droite a livrée. Il semble incarner la jubilation devant l’abandon du « politiquement correct » de la « bien-pensance » et autres « droits de l’hommisme », toutes ces valeurs « femelles » qui, comme la conscience, empêchent de jouir sans entrave. Son programme se résume à cette « légitime défense » : abolir l’autre, ne pas lui concéder un pouce de son ego, cela donne dans sa bouche « l’homme blanc hétérosexuel est menacé d’extermination ».

Beaucoup ne lui reprochent au fond que l’outrance de son verbe et parmi eux nombre de Juifs qui pleurent « l’identité outragée de la France », « chantent sa grandeur d’antan » et se sont fait les chantres d’un Occident chrétien en lutte contre la barbarie. Mais plus qu’un porte-parole de la droite nationaliste ou même de son improbable caution juive, Eric Zemmour semble incarner, par sa personne et son verbe, la possibilité réussie d’un délestage de toute appartenance, de toute culpabilité, comme un affranchissement de soi, le seul à même d’abolir l’autre. Cette jouissance du délestage est une des armes du fascisme. Zemmour c’est ce « plus » qui déborde, qui fait vendre et qui fait sa gloire car le retour aux « valeurs sacrées de la France éternelle » apparait très vite comme l’alibi d’un permis de haïr, une sorte de décor à un délestage.

Et de cet affranchissement jubilatoire, il est l’exemple vivant. Zemmour ne parle guère de ses origines juives, encore moins d’Israël ou d’antisémitisme. Il n’est pas comme ces Juifs staliniens et leurs héritiers, antisionistes professionnels, qui, dans un troublant paradoxe, ont fait de la dénonciation de leur nom et d’Israël, l’obsession d’une vie. Zemmour lui, ne semble encombré de rien. Surtout pas de lui-même. Ce que Zemmour semble offrir à l’extrême droite, ce sont moins des « gages de loyauté » qu’un nouveau modèle d’affranchissement réussi et c’est lui-même qui sert d’exemple. Il est celui qui est capable d’aller jusqu’au bout, de faire sauter les digues qui sont autant d’entraves à la liberté de n’être rien. Comme un ultime courage de la lâcheté, celui qui consiste à se défaire de soi.

A ceux, nombreux parmi les Juifs qui le soutenaient, qui ont cru pouvoir prendre tout de l’extrême droite sauf l’antisémitisme, il rappelle avec cruauté et cohérence que cela relève d’un « package » qu’il faut assumer, d’où ses sorties sur Pétain, Dreyfus… Non « la France n’est pas coupable » et le « refus de la repentance » vaut aussi bien pour l’esclavage et le colonialisme que pour la Shoah, hier comme aujourd’hui ce furent les mêmes mots. Il les assume.

Depuis longtemps déjà son vocabulaire antisémite s’affichait dans ses bestsellers comme dans son livre Destin Français (titre emprunté au livre de Doriot paru en 1943). Il y fustige le mot « Shoah » : « Un mot hébreu à la place d’un vocable français », devenu un élément « obsessionnel de la psyché juive, faisant des Juifs français une caste d’intouchables, et du génocide la nouvelle religion obligatoire d’un pays déchristianisé ».

Mais beaucoup ont fermé les yeux comme ils les fermèrent devant un discours à la fois raciste et antisémite prononcé tranquillement à la grande synagogue de la Rue la Victoire où en juin 2016, il fut invité. Quand Zemmour s’en prend aux prénoms d’origine étrangère, ses soutiens juifs savent bien que cela peut aussi les viser. Mais pour un Amos combien de Mohamed ? La logique de l’ennemi principal l’a souvent emportée. Il est possible que la grenouille qui se voulait plus grosse que le bœuf finisse par se dégonfler et que Marine le Pen engrange finalement les bénéfices. Les débats obscènes qu’il a imposés (« les enfants juifs français ont-ils été sauvés ? » ou la place centrale de l’islam) vont demeurer. Noyé dans son propre miroir, ivre de ses propres paroles, Zemmour incarne plus que quiconque la démission jubilatoire de soi que la haine permet. Le fascisme a su exploiter cet affect qui dans la bible a pour nom « idolâtrie ». Zemmour en est peut-être bien une des incarnations contemporaines.