Une désarmante lâcheté

Une désarmante lâcheté

L’Opinion du mois signée Brigitte Stora, essayiste et documentariste Brigitte Stora

« Pour être fort, un dirigeant du parti n’avait besoin ni du talent ni du savoir ni des dons de l’écrivain. Getmanov ne savait ni chanter, ni jouer du piano (ni) gouter les créations de la science, de la poésie, de la musique, de la peinture… Mais un mot de lui pouvait décider du sort d’un professeur d’université, d’un ingénieur, d’un directeur de banque, d’un secrétaire syndical, d’un kolkhoze, d’une mise en scène… » Getmanov est ce sinistre et banal bureaucrate stalinien que Vassili Grossman décrit dans Vie et destin.
Des Getmanov, il y en eut des milliers, le plus célèbre d’entre eux, celui que Léon Trotski avait nommé « la plus éminente médiocrité de notre parti » s’appelait Joseph Staline. Depuis trois décennies, il ne reste plus rien de l’Union soviétique ; un capitalisme violent et oligarchique est venu dissiper les derniers vestiges et les dernières illusions du « socialisme réel ». Mais bien avant la « fin de l’homme rouge »1, il n’y avait plus rien à défendre d’un régime qui pratiqua une violence politique presque sans équivalent dans l’histoire avec ses assassinats de masse, ses déportations massives, ses invasions militaires, son écrasement d’insurrections des pays frères, … Il y a bien longtemps déjà qu’il ne reste plus rien de la fière révolution bolchévique de 1917, plus rien non plus de l’Union soviétique. Sauf le pire peut-être ; un inimaginable appareil policier ; le KGB, toujours au pouvoir en Russie…  Et un Guetmanov qui désormais se nomme Poutine.
De même qu’il existe un KGB sans URSS, il semble qu’il reste encore beaucoup de staliniens sans Staline et de nouveaux « campistes » alors même qu’il n’y a plus aucun camp « socialiste ». De la Guerre froide, il leur reste un réflexe pavlovien de défense de tout ce qui ose se prétendre anti-impérialiste. Et peu leur importe de se ranger désormais derrière un autocrate impérialiste millionnaire et de consentir au rêve colonial de la grande Russie. L’anti-américanisme (ce faux anti-impérialisme pour les nuls) leur sert de boussole et leur permet une posture à défaut d’une position politique. Car dans l’histoire, l’anti-américanisme fut le plus souvent le trait d’union entre l’extrême droite et les staliniens. Et les choses aujourd’hui n’ont que peu changé : mêmes poses rebelles, même phraséologie anti impérialiste voire souverainistes pour justifier la soumission à la violence. L’agression contre l’Ukraine est une ignominie et aucune hésitation n’est permise devant la nécessaire solidarité avec un peuple qui défend courageusement sa souveraineté, sa liberté et sans doute aussi un peu la nôtre.

Lire la suite