Je n’ai pas d’indulgence envers ceux qui se lâchent parce que j’ai trop d’estime envers ceux qui résistent.

Comme il est laid le visage de la soumission comme ils vieillissent vite ceux qui ont cessé d’espérer.

 Quand j’erre dans les rues d’une grande ville,

Ah ! Toutes les misères, tous les manques,

Lamentation et révolte, de l’une à l’autre,

Mes yeux les rassemblent, mon âme les recueille.

mon âme les loge.

Je les mêle ainsi à ma souffrance intime,

Privation, Manouchian

 

“La société politique contemporaine : une machine à désespérer les hommes.”

Camus

 

Les réseaux sociaux, les petites phrases, les tweets et les posts… Il y a un moment où il faut reprendre la parole et la plume.

J’ai toujours du mal à modérer mes colères et mes enthousiasmes et je ne conçois pas ma vie sans engagement. Cet engagement se situe à gauche résolument. « Je suis et je mourrai à gauche malgré elle et parfois malgré moi » disait Camus.

Dans mon livre, j’ai dénoncé les abandons, les dérives puis le naufrage d’une grande partie de ce qu’on appelle la « gauche radicale ». Ses compromissions avec l’islamisme, son abandon des Juifs, mais aussi des droits des femmes, des démocrates du monde arabe, des homosexuels etc. et finalement de l’idée même de fraternité. Cette fraternité qui ne peut exister sans une idée humaniste de l’universel.

 

L’islamisme se porte aussi bien dans les « cités » que dans les campus universitaires où les ravages du néo libéralisme ont fait une place de choix à ceux qui mettent en concurrence les humains, les mémoires, les malheurs et les luttes. Un « chacun sa mère, chacun pour soi » pris lui aussi dans la logique de la compétition et de la lutte à mort de tous contre tous …

J’ai voulu raconter cette mélancolie pour la partager et la transformer en résistance.

Eux se sont compromis, ont trahi encore une fois la gauche et ses valeurs. Pas moi ! Je combats les islamistes mais le racisme continue de me faire horreur, je n’ai pas à choisir entre la lutte contre l’antisémitisme ou la lutte contre le racisme. Je suis sioniste et pro palestinienne et la politique de Netanyahu, les implantations, les guerres me semblent relever d’un suicide politique, national et (parce que cela est lié), éthique.

J’exècre Badiou et Renaud Camus.

Je n’ai pas parlé de la droite encore moins de l’extrême droite car ceux-là me sont irrémédiablement étrangers : le nationalisme le « travail famille patrie » la défense éhontée des privilèges, la haine des métèques, le rejet des étrangers des réfugiés, l’exaltation de l’identité nationale sont pour moi la marque de fabrique d’une classe. Hélas.

Je sais que la gauche n’est pas toujours à gauche mais je sais aussi que la droite est vraiment la droite. Il suffit d’écouter, sans rire ni pleurer, celui qui porte sur lui plus de 5 smics et dont les pratiques lui valent mise en examen, demander au prolétariat, sérieusement et toute honte bue, de se serrer la ceinture, de travailler plus et plus longtemps, d’accepter la flexibilité, les licenciements. La morgue de la bourgeoisie est décidément sans rivage. Je n’ai pas oublié le quinquennat brutal de Nicolas Sarkozy, son clientélisme, son flirt idéologique avec l’extrême droite, les fractures de notre société que cette droite sans foi ni loi autres que celles du profit aura contribué à creuser un peu plus.

Je suis restée de gauche, fidèle aux valeurs et aux espérances que ce mot a portées, toujours émue quand j’entends Bella ciao, le Temps des cerises ou la semaine sanglante. L’injustice sociale ne me paraît pas une fatalité, ni la loi du marché, l’horizon indépassable de l’humanité. Je suis de cette gauche internationaliste qui a espéré, vibré avec Mandela et avec Solidarnosc avec le Nicaragua sandiniste et la charte 77 de Vaclav Havel. Je suis de cette gauche qui réclame l’émancipation de tous les humains, les femmes, les minorités ethniques, sexuelles etc.

J’ai aussi pour moi, une longue tradition de ceux qui ont refusé, dans une certaine solitude souvent, le chantage à la pensée binaire, stalinienne ou de droite, pro islamiste ou facho aujourd’hui. Jamais majoritaires mais tout de même assez nombreux, les Orwell, Camus, Victor Serge, Rosa Luxembourg sont ceux qui ont tenu quand il était « minuit dans le siècle » ceux qui sont restés notre fierté d’être de gauche.

Je suis d’une gauche sociale et antitotalitaire. Et oui je suis « communiste » contre Staline, « socialiste », sans les compromissions de nombre de socio-démocrates, « trotskyste » sans Kronstadt ni la « militarisation des syndicats », « anarchiste » avec Emma Goldman et Durutti, sans Makhno ni Proudhon (j’ai conscience d’avoir ouvert quelques dossiers)

Si ces mots et ces valeurs font aujourd’hui sourire certains, qu’ils passent leur chemin… j’imagine qu’ils doivent aussi presser le pas quand ils croisent des familles qui dorment dans la rue, et qu’ils considèrent que les réfugiés sont une menace pour eux. Ils ont peut-être oublié que leurs propres aïeux furent eux aussi des clandestins, des sans papiers à qui le monde fermait sa porte et qui les ferme encore. J’ai toujours du mal à accepter que les marchandises circulent librement mais pas les humains…

Le « drame des réfugiés » me fait penser à Welcome in Vienna, à l’Exodus aussi, à un monde qui se ferme n’offrant en guise de rivage qu’une mer méditerranée, ma mer à moi, devenue un grand cimetière.

Il y a longtemps que je ne rêve plus de grand soir et je sais aussi le danger niché parfois dans l’espérance.

Le 10 mai 81, j’étais juchée sur les épaules de mon amoureux, je brandissais mon drapeau rouge et avec quelques centaines d’autres abrutis, je clamais « ce n’est qu’un début, continuons le combat… » La vérité c’est que j’étais, comme eux, heureuse malgré tout. Heureuse de voir la gauche enfin accéder au pouvoir. Ma génération n’avait connu que la droite, de Gaulle, Giscard, l’ORTF, une bourgeoisie critiquée certes mais qui paraissait inamovible à sa place, au pouvoir.

Jamais je n’oublierai le beau discours de Badinter sur la peine de mort et les avancées sociales bien réelles, ces droits nouveaux, ce souffle différent. Barbara chantait « quelque chose a changé l’air semble plus léger, c’est indéfinissable » Je n’ai jamais milité au parti socialiste mais toujours voté à gauche. Et quand, par caprice ou irresponsabilité, il m’est arrivé de m’en écarter, je l’ai amèrement regretté…

De ce quinquennat et de ses erreurs, je préfère retenir le beau discours de Christiane Taubira sur le mariage homosexuel ; un souffle, une vision de l’émancipation qui semblait hélas avoir déserté bien des responsables socialistes à commencer par le chef du gouvernement. Le terrible spectacle de ces enfants criant « la guenon mange ta banane » m’a proprement terrifiée, oui je le reconnais, je ne croyais pas possible qu’un tel imaginaire put encore exister dans la tête de jeunes enfants français. J’ai trouvé que l’indignation et la solidarité envers elle n’avaient pas été à la hauteur de l’insulte. Ma « France humiliée », c’était elle…

Je sais qu’au moment des attentats, nous avons eu droit à des paroles dignes, des rappels à la cohésion républicaine. Une dignité, je le crains, que nous regretterons…

J’estime que la France a eu une politique internationale dont n’avons pas à rougir. Il suffit d’interroger les Maliens pour savoir ce qu’ils pensent des « aventures néo coloniales de Hollande ».

La démocratie n’est jamais une tentation… Et ils sont nombreux ceux qui passèrent du stalinisme à la réaction sans jamais s’arrêter à la case « démocrates ».

Je constate avec mélancolie que ce gouvernement et sa politique n’auront surement pas mérité un tel désamour. Pourtant le désamour interroge.

Je ne fais pas ici faire le bilan de Hollande, du parti socialiste, de ses erreurs, le pire aura sans doute été cette « part de vide », cet effacement des frontières entre la gauche et la droite.

Ce flou qui n’est pas compromis ni modération mais absence de convictions, de choix. A l’heure où des passions tristes s’emparent de beaucoup ; délires identitaires nombreux et pas si éloignés les uns des autres, à l’heure d’une confusion médiatique et intellectuelle majeure, la tâche la plus importante la plus essentielle à mes yeux, c’est ce travail de compréhension, de distinction. Or, cette « part de vide » a autorisé et alimenté les dérives les populismes.

Quand on est de gauche, on ne parle pas de déchéance de la nationalité. Ce triste hochet que la droite avait emprunté à l’extrême droite…

Au lendemain des attentats et alors que la majorité des Français avaient fait preuve d’une grande responsabilité, la cohésion nationale était requise. Il ne fallait pas risquer de fragiliser encore les plus vulnérables avec une « loi travail ». Les responsabilité et irresponsabilités furent nombreuses …

Si Benoit Hamon n’était pas mon premier choix, il se trouve qu’il a gagné la primaire et qu’il y avait une règle du jeu. Les valeurs commencent avec un certain sens de l’honneur, de la parole donnée, de l’engagement. Il n’y a que les cyniques qui peuvent en ricaner…

J’ai voté Benoit Hamon et j’en suis fière. Fière de son insistance sur l’exigence de fraternité, seule digue réelle contre la haine qui se répand partout.

J’ai toujours avec lui des réticences sur sa conception de la laïcité. Mais ma laïcité sans concession n’a rien à voir avec celle du front national, arme de guerre raciste, chapardage idéologique volé à la république, la « gueuse » comme l’appelaient ses fondateurs et qu’elle a pris à la gauche pour mieux masquer sa duplicité. Car si la laïcité est un bouclier, o combien nécessaire comme l’a si bien écrit Caroline Fourest, elle n’est pas une valeur, c’est une des conditions pour faire vivre les valeurs républicaines. La liberté, l’égalité et la fraternité surtout la fraternité sont elles, des armes de destruction massive de la haine identitaire. Haine identitaire qui se porte finalement assez bien des deux côtés d’un spectre finalement très étroit : camp décolonial pour les uns, racines chrétiennes et autres Renaud Camus pour les autres.

L’insistance du candidat socialiste sur la fraternité et sa dénonciation sans faille du racisme et de l’antisémitisme toujours liés m’est apparue comme une digue mais aussi une arme contre le désespoir, le repli et la haine.

Loin des Corbyn et des « pseudos gauches » anglo saxonnes, il existe encore dans notre pays une gauche démocratique et humaniste qui refuse le délire identitaire, et prône encore toujours la fraternité contre leur logique de haine. C’est de ce côté-là définitivement que je me situe.

Les élections ne sont pas un jeu. Nous ne sommes pas au supermarché à choisir un produit dans les étals avec plus ou moins de sucre, d’édulcorant etc. Ce ne sont ni les caprices ni les désirs encore moins les seules détestations qui doivent nous guider.

J’ai voté pour la gauche comme je l’ai toujours fait, pour le candidat dont les valeurs et le programme se rapprochent le plus de l’exigence de justice sociale et de fraternité qui sont et demeurent les miennes.

Aujourd’hui Marine Le Pen est face à Macron.

Seul le désir de chaos et son corollaire ; l’irresponsabilité peuvent autoriser un « ni ni ». Nous savons ce qu’est l’extrême droite, tout le monde le sait et Mélenchon, noyé dans sa mégalomanie s’affranchit de toute tradition politique qu’elle soit socialiste ou trotskyste en n’appelant pas clairement à lui faire barrage. L’affranchissement est à la mode, il permet de se lâcher de faire sauter les digues, de fustiger la « bien-pensance ». Chacun dès lors peut reprendre le triste slogan des le Pen « dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas », choisir définitivement sa sœur, sa cousine à l’étranger… se nourrir d’un étrange brouet où insoumission rime avec consumérisme individualisme et irresponsabilité …

Entre les « amants du chaos » de l’extrême gauche que j’ai dénoncés et ceux de l’extrême droite, il y a finalement beaucoup en commun à commencer par cette digue qu’ils ont plaisir à dynamiter (meetings communs avec Tariq Ramadan, d’un côté, flirt poussé ave Renaud Camus de l’autre). Ces dernières années, nous aurons assisté à une chute effroyable, une « défaite de la pensée » comme l’avait écrit Finkielkraut autrefois plus inspiré… Les intellectuels (ce qui n’est pas si nouveau dans l’histoire) sont ceux qui auront le plus mal
« résisté ».

Je n’ai pas d’indulgence envers ceux qui se lâchent parce que j’ai trop d’estime envers ceux qui résistent. Le chômeur déclassé qui ne vote pas FN, le jeune Maghrébin qui subit racisme et discrimination qui refuse le discours islamiste, les Juifs qui malgré l’antisémitisme résistent au repli et à la peur de l’autre. Etre de gauche c’est toujours un peu penser contre soi, se dire que l’autre existe, que l’on ne mettra personne aux galères et aux goulags. C’est offrir une chance au possible…

Mais c’est aussi et avant tout être républicain. C’est insister sur la responsabilité. Bien sûr, c’est sans hésitation que je voterai Macron.

Brigitte Stora

 

 

 

 

 

 

Une réflexion sur “ Je n’ai pas d’indulgence envers ceux qui se lâchent parce que j’ai trop d’estime envers ceux qui résistent. ”

  • 20 juin 2017 à 1 h 31 min
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    Merci. Je me retrouve dans tous les termes. Depuis la période O.C.I. en 80-82. C’est une chronique vivante d’une époque qui fait encore signe. Dans ce post, rien n’est celé ni dans les passions ni dans la raison.

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