Women wage peace, les femmes font la paix, un espoir au féminin ?

C’était le 19 octobre dernier, elles étaient plus de 20 000 femmes à marcher pour la paix.  Une foule de femmes vêtues de blanc de toutes confessions et de tous bords politiques exigeant de leurs dirigeants qu’ils s’asseyent à une table de négociation.

J’étais invitée au cercle Bernard Lazare, à l’initiative de Jcall et du SISO (stop occupation, save Israël) avec Delphine Horweilleur, Sérénade Chafik pour les soutenir.

J’y ai dit quelques mots
Bonsoir

Tout d’abord je tiens à vous dire la joie et l’honneur que je ressens à être invitée ce soir pour soutenir la « Marche des femmes pour la paix ».

Je ne suis pas israélienne, n’ai pas pour le moment l’intention de faire mon Alyah. Mais à l’instar de l’immense majorité des Juifs du monde, Israël fait désormais irrémédiablement partie de notre entité. Israël est le pays où beaucoup de Juifs ont une partie de leurs familles, des parents qui y sont enterrés. Avant d’être le nom d’un pays ce fut le nom d’un peuple, du nôtre et ça l’est encore pour le meilleur et souvent aussi pour le pire.

Israël fait partie de nos prières, de nos espérances depuis des siècles et nous sommes liés au pays qui porte ce nom et dont la création en 48 fut si proche de la volonté d’anéantissement du peuple juif tellement proche, qu’on a pu croire à une résurrection.

J’ai écrit cela dans les colonnes du Monde il y quelques mois et j’y expliquais que la haine d’Israël, loin de coïncider avec une critique de ce pays ou de sa politique était en fait une forme déguisée d’antisémitisme. J’ai reçu des courriers dont un qui m’a particulièrement sidérée tant son propos était aussi outrancier que clair dans son énoncé. Cet homme, un antisioniste qui estimait que je justifiais l’oppression des Palestiniens m’a écrit : « Comment arrivez-vous à dormir ? Je vous en veux car vous nous avez ôté l’espoir, l’espérance du monde »

« L’espoir et l’espérance du monde », rien que ça ! Je me suis d’abord demandé comment ma personne ou mon écrit pouvaient avoir un tel pouvoir mais même en admettant qu’il s’agissait d’un pays, Israël, je me suis demandé comment ce pays plus petit que la Bretagne pouvait avoir le monopole, encore un, de l’espoir ou du désespoir mondial.

Je me suis souvenue que le sionisme était bien sûr un mouvement de libération nationale, une volonté sans doute de « normalisation » de la condition juive, projet peut-être ontologiquement impossible mais la dimension éthique était partie prenante, constitutive du projet. Ben Gourion n’était pas un religieux, Dieu merci, mais il connaissait la Bible et en avait retenu le meilleur. Seule la justice sociale et humaine peut rendre la terre « sainte », elle seule peut répondre à la promesse divine. Les pères  fondateurs n’auraient sans doute guère imaginé une société israélienne où le creusement de l’écart entre les plus riches et les plus pauvres est un des plus importants au monde ni une situation inique  d’occupation d’un autre peuple, le peuple palestinien, qui se poursuit aujourd’hui depuis 50 ans … Alors oui Israël a le droit de refuser le fardeau de l’humanité tout entière, le peuple juif d’Israël et de la diaspora a quelques arguments historiques pour exiger qu’on lui fichât la paix… Toutefois Israël ne saurait s’abstraire de l’éthique qui l’a constitué et qu’il a d’une certaine manière « léguée » au monde. Cette éthique qui est l’autre nom de l’espoir.

 

Pourtant depuis même avant sa création Israël n’est pas, n’a pas pu devenir ce havre de paix, ce refuge.  En guerre depuis le début…

68 ans après, l’heure n’est plus à l’accusation sempiternelle des fautes et des erreurs de l’autre sans cesse brandie pour justifier les siennes.
Depuis l’assassinat d’Yitzhak Rabin, la politique d’Israël est de plus en plus navrante, la loi du talion, pourtant réprouvée par le Talmud, semble bénéficier là-bas d’une application particulière, ce serait plutôt « pour un œil, les deux yeux ». Tous les deux ans, il y a une guerre, tous les deux ans, les termes les plus odieux sont employés de part et d’autre ; il s’agit d’en finir une bonne fois pour toute, d’éradiquer l’ennemi. On connaît le résultat, l’ennemi en sort plus fort et plus féroce, c’est finalement toujours l’ennemi qui gagne. Il semble qu’il n’y ait qu’un cycle infernal et sans cesse recommencé comme une malédiction : attentats, répression, guerres. Les implantations se multiplient, ainsi que les occasions ratées, voire sabotées. Et la catastrophe qui continue, des morts des deuils, des désirs de vengeance…

On connaît la solution, elle a été approuvée par les deux parties lors des accords d’Oslo, il ne manque qu’une chose ; la volonté politique des deux côtés.
Bien sûr, nous vivons en diaspora et nos critiques ou soutiens doivent aussi intégrer cette dimension ; nous ne sommes pas au front, ne prenons pas les mêmes risques et il y a et il y aurait une obscénité à parler à la place des principaux concernés. J’ai signé l’appel de Jcall il y a quelques années et plus récemment celui du SISO « save Israël, stop the occupation », car le discours est clair, c’est parce que nous sommes liés à ce pays et que nous l’aimons que nous avons le droit et le devoir de parler, l’amour crée aussi des obligations. Et loin de nous substituer aux Israéliens, nous entendons peser pour soutenir les initiatives de paix prises là-bas.

Celle de Women wage peace représente un formidable espoir. Au début, j’étais étonnée voire dubitative. Pourquoi des femmes ?

Je vais peut-être en froisser certaines mais je ne crois pas que les femmes soient meilleures que les hommes. Bien sûr elles se définissent filles, sœurs, mères mais les hommes sont aussi des frères, des pères quand les femmes le leur permettent …

 

Plus le temps passe, plus fleurissent un peu partout les passions identitaires, les assignations à résidence communautaires religieuses, ethniques et sexuelles et plus au contraire, je me méfie de toutes formes d’essentialisme, il me semble urgent d’affirmer qu’il n’y a qu’une seule humanité, indivisible. Les catégories de victimes, de bourreau, de bien de mal traversent chaque peuple, chaque famille et en définitive chaque individu placé devant le seul choix qui compte : celui de la vie.

Ce fameux choix du Deutéronome « J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction, tu choisiras la vie »

 

Et puis j’ai suivi, grâce à des liens amicaux et familiaux leur mouvement. Qu’avaient donc ces femmes en commun ? Il y a des femmes qui habitent les territoires, des gauchistes de Tel-Aviv, certaines qui portent la perruque des orthodoxes, d’autres le voile islamique, tous les âges, toutes les origines.

J’ai vu les images ; la grève de la faim devant la Knesset et j’ai compris que ces femmes de différentes origines, religions, d’opinions politiques parfois opposées n’ont en commun que l’essentiel ; les valeurs communes, les valeurs en commun, ces valeurs qui semblent tenir sur leurs banderoles « nous choisissons la vie ».
Alors les femmes  seraient elles d’avantage du côté de la vie ?

Oui peut être, elles sont davantage du côté du concret, de la défiance envers les grands mots creux, les idéologies mortifères, les postures guerrières et infantiles.

Seraient-elles plus réceptives et plus vecteurs (vectrices) aussi d’une certaine « sagesse populaire » dont nous parlait Orwell et qu’il nommait la common decency ?

La Common decency, ce n’est pas la vox populi qui se lâche au café du commerce ou dans nos médias, c’est plutôt cette sagesse humaine, cette honnêteté ordinaire contenue dans ces mots que beaucoup de grands mères à travers le monde ont un jour énoncés « il y a des bons et des mauvais partout », « Il ne faut pas généraliser » « la vie est trop courte, trop fragile »
Eric Blair dit George Orwell dit qu’elle correspond « à un sentiment spontané de bonté qui est, à la fois, la capacité affective de ressentir dans sa chair le juste et l’injuste et une inclination naturelle à faire le bien.»

Faire le bien et non agir au nom du bien, comme une revendication du présent, une exigence d’avenir, aussi modeste qu’impérieuse, comme cela est contenu dans leur sigle « les femmes font la paix ».
Cela me rappelle aussi les feuillets d’Ikonnikov dans Vie et destin, le chef d’œuvre de Vassili Grossman. Il y dénonce ce Bien majuscule responsable de tant de malheur, ce grand Bien pour les uns qui peut être un mal pour tant d’autres, ce Bien au nom duquel on tue extermine, emprisonne. Et Grossman, par la voix d’Ikonnikov lui oppose la bonté : « C’est ainsi qu’il existe, à côté de ce grand bien si terrible, la bonté humaine dans la vie de tous les jours. C’est la bonté d’une vieille, qui, sur le bord de la route, donne un morceau de pain à un bagnard qui passe, c’est la bonté d’un soldat qui tend sa gourde à un ennemi blessé, la bonté d’un paysan qui cache dans sa grange un vieillard juif. C’est la bonté de ces gardiens de prison, qui, risquant leur propre liberté, transmettent des lettres de détenus adressées aux femmes et aux mères. (…) Cette bonté privée d’un individu pour un autre individu est une bonté sans témoins, une petite bonté sans idéologie (…), une bonté instinctive et aveugle, simple comme la vie… les simples gens portent en leur cœur l’amour pour tout ce qui est vivant, ils aiment naturellement la vie. La force de cette bonté vient de ce qu’elle «réside dans le silence du cœur de l’homme »

Cette bonté nous dit que la vie n’est pas le mal. Le mal ne peut rien contre elle.

Le programmes des Femmes qui font la paix est un programme minimal et pourtant essentiel, plus qu’un slogan, qu’une profession de foi, qu’un souhait : une exigence que « les dirigeants se mettent autour d’une table qu’ils trouvent une solution honorable »

J’aime ce choix des mots « une solution honorable », que l’honneur ne serve plus à justifier les crimes mais qu’il soit la condition de la sortie de l’impasse que nul ne perde la face et qu’ils se regardent.

Chez ces femmes de valeur, de valeurs communes, de valeurs en commun. La vie prend évidemment sa plus grande part.

Chez elles, tout est minimal et démesuré, elles nous rappellent de par leur engagement l’exigence de la vie, nous devons les en remercier et les soutenir.

 

 

 

 

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