Une étoile nommée Simone Veil

Simone Veil une étoile française

 

 

Simone Veil, un nom victorieux qui se confondra à jamais avec le droit, la joie et la dignité retrouvées.

 

Je l’avais rencontrée en mai 2001. Elle m’avait accordé un entretien pour « le journal de retraités » d’une grande entreprise d’Etat… Nous resterons pourtant ensemble près de deux heures. D’emblée sa beauté m’impressionne, une beauté tranquille et flagrante comme une accentuation de sa présence au monde. Un peu de Rita Hayworth et de Laetitia Casta peut-être…

Il fait chaud, elle porte une improbable robe à pois. Ni la mode ni le reste ne sauraient lui dicter ses choix. Ses bras ronds, puissants, maternels sont nus. Un numéro illisible est tatoué sur son avant-bras, la couleur a passé, elle est aujourd’hui bizarrement assortie au bleu de ses yeux. 78 651, Simone Veil l’a fait graver sur son épée d’académicienne. Un bras de fer avec la vie qu’elle aura définitivement gagné. Elle me raconte cette époque où les femmes n’avaient pas la maîtrise de leur fécondité. « On ne peut plus imaginer l’angoisse des femmes à chaque fin de mois, les compagnons et les maris qui leur disaient : « Débrouille-toi ». Et puis les avortements clandestins, les aiguilles à tricoter, la honte, l’humiliation quand elles arrivaient à l’hôpital avec une hémorragie, la mort aussi parfois au bout. Au bout du chemin, du plaisir. Comme une punition diabolique.

Son combat pour l’avortement était aussi un combat pour le droit à la vie, au plaisir, on sent que cette femme sensuelle sait de quoi elle parle. Puis, dans un sourire pudique, elle dit sa satisfaction quand elle rencontre des femmes dans la rue qui la remercient, parfois l’embrassent « Pour ce que vous avez fait pour nous ». Elle emploie et incarne le féminin pluriel, celui qui devrait l’emporter sur toutes les grammaires. Simone Veil parle des femmes avec tendresse. Elle éveille en moi ce sentiment que le féminisme a réussi à faire naître : la fierté d’être du même sexe que cette femme-là. Tout le monde se souviendra du combat de la ministre de la Santé tenant tête dignement aux insultes, pour la plupart antisémites, de l’extrême droite. Bien sûr, elle savait qu’elle s’appuyait sur un mouvement immense. Le mouvement des femmes, drôle insolent, radical et réformiste était en pleine éclosion. De jeunes médecins, écœurés par la violence des avortements clandestins avaient fondé le MLAC (mouvement de libération de l’avortement et de la contraception) et pratiquaient des IVG. Il était temps que la loi vienne s’accorder au réel.

 

Mais Simone Veil se battra aussi pour une réforme de la condition des prisonniers. Puis elle raconte son combat contre la torture pendant la guerre d’Algérie, sa rencontre avec un militant juif du FLN Daniel Timsit. Elle dirigera même une commission d’enquête sur la « Question ». J’ose une puérile provocation : « La réforme des prisons, la torture en Algérie, les droits des femmes, Madame Veil ne se serait-elle pas trompée de … bord ? » J’ai pensé et failli dire « camp ». « Ne seraient-ce pas là plutôt les combats d’une femme de gauche ? » Sereine et amusée, elle me répond alors que les divergences avec son « bord » étaient nombreuses mais qu’elle en avait également de nombreuses avec la gauche… Elle glisse dans un souffle pudique que les violences et insultes antisémites ne sont pas venues que de l’extrême droite, loin de là … Puis elle raconte son combat pour l’Europe, quand Barbara chantait Göttingen, elle trouvera dans son combat européen l’occasion du pardon, de sa « réconciliation avec le 20 e siècle ».

Quand elle évoque sa future fondation pour la Mémoire de la Shoah, ses yeux prennent une couleur plus sombre, décidément assortis à son numéro sur le bras.

 

L’interview ne paraitra jamais, mon rédacteur en chef m’adresse ces quelques mots : «  Simone Veil parle de la mémoire de la Shoah, comment se positionne-t-elle par rapport au Proche-Orient, que dit-elle du drame des Palestiniens ? »

« Non, je ne lui demanderai pas cela, car je considère la demande suspecte. C’est cela ou ma démission. » Il choisira ma démission. Je ne lui ai jamais raconté cela, sentant bien l’insignifiance de ces petite vilénies.

Quand on est rescapée de l’enfer, on n’a plus de rage ni de larmes à verser sur la médiocrité du monde. Je savais qu’elle m’aurait envié et sans doute reproché cette colère intacte, cette indignation dérisoire, privilège de ceux qui n’ont jamais dû affronter la barbarie.

 

Simone Veil fut sans aucun doute une des personnalités politiques les plus brillantes que la France ait porté. Femme et juive, elle ne brigua pourtant jamais la magistrature suprême et c’est dommage, quelle qu’ait été son étiquette, nous aurions été nombreux à l’élire. Simone Veil aura été cette étoile qui fit briller son pays. Aujourd’hui c’est toute la France qui est en deuil.

 

2 réflexions sur “ Une étoile nommée Simone Veil ”

  • 19 août 2017 à 18 h 16 min
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    Bravo pour ce texte magnifique!

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    • 2 juillet 2018 à 0 h 04 min
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      merci

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