Le débat fut rude avec un public très gauche de la gauche… L’occasion pourtant de débattre et de belles rencontres au final. Je ne dirai rien de mes deux autres interlocuteurs…
ma conférence au centre Medem
Les Gauches en question débat à l’assemblée nationale
mon entretien avec Bernard Schalcha pour la Règle du jeu
Nos ex-Camarades par Caroline Fourest
Il y a des époques où l’amitié peut devenir un cimetière. De la seconde Intifada à l’attentat contre Charlie et l’Hyper Cacher, combien de conversations amicales ont mué en discordes, quelque part entre Gaza, Dieudonné et « Je ne suis plus Charlie ». Et vous, combien d’amis avez-vous perdus ? Brigitte Stora les a comptés. Mieux, elle nous les conte.
Ces camaraderies gâchées par des obsessions contraires. Les mots qui se tordent, les regards qui fuient, ces visages aimés devenus fermés, ou qui se mettent à brûler d’un feu étrange. Les chaleurs, au contraire, qui s’éteignent, froides comme l’indifférence, parfois la complaisance, envers le pire : l’islamisme, le complotisme et, bien sûr, l’antisémitisme.
Cette hydre, on la voit venir de loin, mais pas toujours, quand on est juif. Il coûte beaucoup d’amis quand on est militante de gauche, juive de culture, algérienne d’origine et de tempérament, qu’on a épousé un juif marocain, grandi dans le culte de l’indépendance des anciennes colonies, qu’on a traîné ses guêtres dans toutes les manifestations antiracistes, usé le pavé avec la marche des Beurs, qu’on élève ses gosses dans un quartier populaire et mélangé, pas par mauvaise conscience, mais par appartenance à ce peuple métissé : française et juive du Maghreb, tout attaché.
Lors de la seconde Intifada, en 2000, Brigitte Stora est partie manifester pour les Palestiniens. Quelques heures plus tard, elle devait sortir des rangs de la gauche radicale, dégoûtée d’entendre « Mort aux juifs », sans que cela ne choque ceux qu’elle appelle désormais ses « ex-camarades ». Eux pensent qu’elle exagère, qu’elle en fait trop. L’antisémitisme, c’est la faute aux Israéliens et l’islamisme à l’impérialisme américain. Ils continuent de militer au nom du progrès, à la remorque de l’internationale la plus réactionnaire au monde… À force de lire Edwy Plenel, de s’indigner façon Stéphane Hessel, et de se perdre, comme toujours, avec Alain Badiou.
Trois boussoles du sud, rhabillées pour l’hiver. Avec talent, style et acuité, ce livre apporte incontestablement un nouveau chapitre, humain et intellectuel, aux alertes déjà lancées contre la gauche cédant au mieux à l’aveuglement, au pire à la tentation obscurantiste .
Entre deux pages, on se croit parfois revenu au temps des procès de Moscou et du complot des blouses blanches. Pourtant, c’est bien en France, ici et maintenant, qu’Ilan Halimi a été torturé à mort, que des enfants juifs se sont fait abattre à bout portant à Toulouse, que des juifs risquent de se faire égorger à cause de leur kippa, que les actes et propos antijuifs sont deux fois plus nombreux que les actes et propos antimusulmans, même après des attentats… Pendant que des intellectuels et des militants de gauche se demandent si les juifs n’en font pas trop, si ce n’est pas un peu de leur faute, avec tout ce qui se passe en Israël et si, au fond, les vraies victimes ne sont pas les terroristes.
Tous ne sont pas aveuglés par la peur. Certains le sont par la haine. Farida Belghoul, que Brigitte Stora a connue à l’époque de la marche des Beurs, a basculé de l’antiracisme au racisme, de « Touche pas à mon pote » à « Touche pas à mon genre », en compagnie d’Alain Soral et sa bande, avec qui elle peut enfin parler des juifs. C’est ici et maintenant.
Mais c’est ici, aussi, que les amitiés métissées de Brigitte résistent. Qu’une amie de la Guadeloupe se désespère avec elle de son fils devenu fan de Dieudonné. Que sa petite soeur afghane et ses amies algériennes, toutes réfugiées, maudissent les islamistes. Ici, dans ce pays capable de se déchirer « pour le sort d’un petit capitaine juif », que l’on peut perdre des camarades et en retrouver d’autres, avec qui bâtir une résistance fraternelle.
entretien Moissac des villes et des Justes
L’antisionisme, le masque de la haine, mon article du Monde du 16 mars 2016
« L’antisionisme est une incroyable aubaine, car il nous donne la permission d’être antisémite au nom de la démocratie ! L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous », Vladimir Jankélévitch (1957)
Je pense que la haine d’Israël qui semble bien être la matrice de l’antisionisme est synonyme d’antisémitisme.
Le débat sur le sionisme eut lieu dans le mouvement ouvrier juif au début du XXe siècle. Les communistes mettaient en avant l’internationalisme, les Bundistes visaient l’autonomie territoriale et culturelle, la majorité des sionistes considéraient que le socialisme passait d’abord par la création d’une nation pour les Juifs. Si j’avais eu 20 ans en 1920, sans doute aurais-je préféré aux drapeaux et aux hymnes nationaux, la bannière rouge de l’internationalisme prolétarien… mais l’Histoire est passée par là. Ce débat est désormais caduc, il a pris fin avec la création de l’Etat d’Israël.
Israël n’est plus un rêve, c’est un pays. L’antisionisme aujourd’hui n’est pas une position théorique sur l’avenir, il est une volonté de destruction de ce qui est. Et cela n’est pas et n’a pas été sans conséquences.
On peut, et c’est mon cas, considérer avec prudence toute forme de nationalisme, y déceler le plus souvent une forme de retrait, voire d’ethnocentrisme. On peut encore et toujours espérer comme Jan Valtin un monde « sans patrie ni frontières » mais comment expliquer ce « refus » d’un seul nationalisme, celui du peuple juif, ce rejet d’un seul Etat, Israël ?
La critique marxiste du nationalisme a fini par prendre acte de la situation des peuples opprimés, de leur légitimité à une souveraineté nationale. Or, l’antisionisme dit en creux que les Juifs, contrairement aux peuples colonisés, ne sont pas un peuple opprimé mais peut-être bien un peuple dominateur. Et la haine d’Israël renoue avec le passé, avec l’imaginaire de la domination d’un nom. C’est ce nom que vomissaient Céline, Drumont et tous les antisémites bien avant l’existence de l’État d’Israël. Israël tentaculaire, suceur de sang, tueur d’enfants, fauteur de guerres et ennemi de l’humanité, la chose n’est pas nouvelle…
J’ai longtemps milité à l’extrême gauche, l’internationalisme avait encore un sens et la rage et le dépit n’avaient pas encore supplanté la révolte. Ni le Chili, ni la Pologne de Solidarnosc, ni la lutte des Kanaks ou des Sud-Africains n’ont jamais suscité cette étrange solidarité où la haine domine. Aucune « dénonciation » d’un gouvernement ou d’un régime n’a jamais mérité un vocable particulier, aucun pays non plus n’est considéré comme un nom propre auquel on peut accoler l’adjectif d’« assassin ». Or quand on crie dans une manifestation « Israël assassin », on peut se demander qui est désigné ? Un pays, un peuple ou un fantasme ?
Que l’on songe seulement à toutes les dictatures, à tous les fascismes qui ont opprimé, tué et assassinent encore aujourd’hui… Malgré les décennies de Goulag, l’océan de morts de la Chine communiste, jamais « Russie assassine », « Chili assassin », même l’Allemagne nazie n’a jamais été affublée de cet adjectif que l’on réserve à un nom. Or seul Israël mérite un mot particulier ; le mot « antisionisme » dont la triste assonance avec le mot antisémitisme vient nous rappeler encore une fois cette mise en exception radicale que les mêmes reprochent pourtant.
L’immense majorité des Juifs partagent la réflexion de Raymond Aron après la guerre des six jours : « Si les grandes puissances laissent détruire le petit Etat d’Israël qui n’est pas le mien, ce crime modeste à l’échelle du monde m’enlèverait la force de vivre ». Ou encore celle de Hanna Arendt qui, malgré son éloignement du projet sioniste pour lequel elle avait milité, devait confier à son amie : « Je sais bien que toute catastrophe en Israël m’affecterait plus profondément que toute autre chose » (1).
Israël est le pays où beaucoup de Juifs ont une partie de leurs familles, des parents qui y sont enterrés. « Israël », c’est ce mot qui revient dans toutes les prières et qui fait de la bible une véritable « propagande sioniste ». Méconnaître cette réalité, c’est faire offense aux Juifs, à leur mémoire et à leur histoire.
En outre, c’est oublier que dans la « Patrie du socialisme », Staline remplaça le mot « juif » par celui de « sioniste ». C’est au nom de ce vocable diabolisé que se tinrent des procès en sorcellerie comme celui de Slansky en Tchécoslovaquie, en 1952, dans lequel on reprochait aux accusés « un complot trotskiste-sioniste-titiste ». Il y eut aussi « la nuit des poètes assassinés », l’exécution secrète des membres du comité juif antifasciste, puis le fameux complot des blouses blanches, tous suppôts du « sionisme ». Et plus récemment la Pologne de Moczar qui, en 68, dressait des listes de « sionistes » jusqu’à la troisième génération… Mais le nazisme avait mis la barre tellement haut qu’en deçà des chambres à gaz, il y avait comme une obscénité à parler d’antisémitisme stalinien.
L’antisionisme n’est pas la critique de la triste politique israélienne, pourtant plus que jamais légitime et nécessaire. Il vise à faire d’un pays plus petit que la Bretagne l’axe du mal, la cause du malheur du monde, rien de moins. Et il fut pour le peuple palestinien ce que la corde est au pendu : son plus sûr ennemi.
Nos antisionistes professionnels n’eurent pas une larme pour les Palestiniens martyrisés du camp de Yarmuk en Syrie. Tout entiers tournés vers leur seul « sujet », la haine d’Israël, ils ont manqué leur principal « objet » d’amour : les Palestiniens. L’antisionisme a été et demeure le plus beau cadeau jamais offert à la droite israélienne, aux partisans du grand Israël, il a alimenté les peurs ancestrales liées à la destruction, nourri le repli, la mentalité de « bunker assiégé », responsables aujourd’hui de souffrances sans nom des deux peuples condamnés pourtant à vivre ensemble, Israéliens et Palestiniens. L’antisionisme est un des malheurs des Palestiniens, peut-être aussi celui du monde musulman. Il n’a pas de légitimité théorique, conceptuelle ou politique, il est hélas le masque de l’antisémitisme.
(1) Ecrits juifs Lettre d’Hannah Arendt à son amie la journaliste Mary McCarthy
Un bel article de l’écrivain Henri Raczymow
Mardi 3 mai 2016 par
Publié dans Regards n°840 [1]
Le mercredi 11 mai 2016 à 20h au CCLJ, Brigitte Stora viendra présenter son livre Que sont mes amis devenus : les Juifs, Charlie, puis tous les nôtres. Une rencontre suivie d’un débat animé par Willy Wolsztajn, secrétaire général pour JCall Belgique.

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Voici le livre que j’attendais. Non en raison de l’analyse politique ou sociologique qui surclasserait en pertinence et en profondeur les milliers de commentaires qu’on a pu lire et qu’on lira ici et là à la suite des attentats de Paris et hélas maintenant de Bruxelles. Mais me touche dans l’essai de Brigitte Stora le point de vue qui est le sien, où je me reconnais. Qu’on me permette de la citer : « Comment oser dire que, dès l’automne 2000, le 7 octobre pour être plus précise, quand on avait crié, place de la République, “ Mort aux Juifs ”, lors d’une manifestation de “ soutien à la Palestine ”, sans réaction ni révolte de la part de ceux que j’ai longtemps considérés comme mes camarades, j’avais compris qu’un nouveau cycle commençait, je savais que des Juifs, dans ce pays, seraient assassinés ».
Il se trouve que parmi les « camarades » dont parle Brigitte Stora, je comptais moi-même quelques vrais amis. Qui ne le sont plus, ne peuvent plus l’être. C’est en 2000 que Brigitte découvre l’antisémitisme dans l’école même de ses enfants. On lui dit que c’est la faute d’Israël. Elle renoue alors, stupéfaite, avec une « antique angoisse juive ». Elle découvre aussi la totale incompréhension de « camarades » qui ne peuvent désormais plus l’être, leur déni de l’antisémitisme, leur défense inconditionnelle des « victimes » musulmanes. Elle cite le philosophe Vladimir Jankélévitch : « L’antisionisme donne la permission d’être démocratiquement antisémite ».
Mais le vrai propos de l’auteure, née à Alger dans une famille juive à la fin de la guerre d’Algérie, est de brosser la généalogie de cette contemporaine et universelle détestation où le discours islamiste a contaminé jusqu’aux associations antiracistes ; et elle le fait de la façon la plus personnelle, en montrant ses engagements successifs. Tout a commencé avec le forum de Durban en 2001, où Israël est le seul pays, ici, traité de « génocidaire ». Un Edgar Morin, en 2002, pourra tenir les Juifs comme de nouveaux nazis. Il ne fut pas le seul ! Stéphane Hessel en 2010 lui emboitera le pas, avec une thèse simple : tout le malheur du monde vient d’Israël. Hessel qui aura cette pensée définitive, selon laquelle l’occupation allemande en France fut infiniment plus douce que celle de la Palestine par Israël. Puis, et surtout, il y eut la convergence de plus en plus visible et étroite entre une extrême gauche anticapitaliste, tiers-mondiste, et un certain islamisme. Leur lien patent : la haine d’Israël. Pour cette extrême gauche d’obédience trotskyste où l’auteure a longtemps milité, Israël et juif sont décidément les noms de trop.
Mais les pages les plus émouvantes de ce livre sont celles où Brigitte Stora évoque les obsèques d’Ilan Halimi en février 2006. « Nous étions nombreux et si seuls », écrit-elle. Elle resonge alors aux mots de sa mère : « Quand il s’agira de défendre les Juifs, il n’y aura plus personne… » Ceux mêmes dont on pensait partager les combats se révèlent aujourd’hui rien de moins que des ennemis. A commencer par Edwy Plenel. Il a une « obsession intime » lui aussi, qu’il partage avec Edgar Morin, Stéphane Hessel, Shlomo Sand, et maintenant Tariq Ramadan. Son site Mediapartest qualifié par Brigitte Stora de « grande lessiveuse d’idées sales pour tout ce qui touche Israël et les Juifs ». On est parfois moins sévère avec des ex (amants, maris) qu’avec des « ex-camarades ». Mais vient un temps où il faut bien appeler les choses par leur nom. C’est ce que fait courageusement ici Brigitte Stora. A la lire, on la devine en effet courageuse, combattive, généreuse, prête à tous les engagements pour la justice. Le constat qu’elle dresse est d’autant plus navrant, pour quelques générations de Juifs qui ont cru, après leurs pères, à des lendemains qui chantent, à l’universalité de combats collectifs, à la fraternité des « camarades ».
Certains sont partis sur la pointe des pieds ou ont rejoint bruyamment l’autre bord. Brigitte Stora a choisi de parler, haut et fort, d’une voix claire, en nommant un chat un chat. Non, défendre les Juifs n’est plus d’actualité. Pour Plenel et quelques autres, ce sont les musulmans qui sont aujourd’hui les seules victimes, et le directeur de Mediapart est leur Zola. Dans ce brouillage à quoi nous assistons, il faut parler, encore et toujours. Que faire d’autre ? Relever les impostures qui se cachent derrière la trop commode « islamophobie ». Dénoncer toutes les justifications qui expliqueraient que les crimes islamo-fascistes qui ensanglantent l’occident seraient en dernier ressort de notre faute.
http://www.cclj.be/actu/judaisme-culture/brigitte-stora-que-sont-amis-devenus