Pittsburgh, Brésil, la constellation de la haine

 

De Pittsburgh jusqu’au Brésil, la marée noire de la haine s’étend

Les victoires de l’extrême droite dessinent un monde où l’Autre n’a plus sa place. Et où il n’y a presque plus de place dans le monde.

Une marche réunissant plusieurs milliers de personnes dans Pittsburgh a été organisée en hommage aux victimes qui ont perdu la vie dans la fusillade de la synagogue L'Arbre de vie.

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Une marche réunissant plusieurs milliers de personnes dans Pittsburgh a été organisée en hommage aux victimes qui ont perdu la vie dans la fusillade de la synagogue L’Arbre de vie.

« Partout partout, oui ça avance », Rachid Taha

La carte du monde devient plus sombre à chaque nouvelle élection. Dimanche 28 octobre, le Brésil est tombé. Avec Bolsonaro au pouvoir et Trump à la présidence des USA, c’est presque un continent qui prend l’eau.

Les déclarations provocatrices du nouveau président du Brésil, ses références ne laissaient guère de doutes sur le personnage. Pourtant beaucoup ont affirmé qu’il ne fallait pas croire tout ce qu’on disait de lui. Que ce vote serait celui d’un « petit peuple authentique » qu’on aurait tort de mépriser, qu’il y aurait une vérité dans cette réalité-là… « On ne nous dit pas tout » répète l’humoriste Anne Roumanov mimant les propos acides du café du commerce masqués derrière le bon sens populaire. « On ne nous dit pas tout et ce qu’on nous dit n’est pas toujours vrai », terrible petite musique populiste, signe d’une époque propice au complotisme et au soupçon en guise d’horizon.

Car la vérité aujourd’hui est en solde et en liquidation, on l’achète et on la jette comme le reste. Les sources d’information des grands médias ne sont pas jugées plus fiables que les états d’âme des amis Facebook… De grands groupes industriels brésiliens l’ont bien compris, arrosant les réseaux sociaux de « fake news » pour soutenir Bolsonaro. Quant à l’église évangélique, si régulièrement oubliée, elle poursuit patiemment son œuvre.

Sur cette méfiance généralisée, sur la haine de la démocratie, fleurissent un peu partout des affairistes, des démagogues se posant comme défenseurs d’une « identité nationale » menacée. Ceux qui gagnent sont ceux qui portent le plus haut ce discours en guise de programme, leur parole ne se soutient que de la destruction des autres paroles.

A chaque élection, ils progressent. Ils sont partout au pouvoir ou à ses portes

Bien sûr, des différences existent entre Trump, Poutine, les droites nationalistes populistes d’Europe de l’Est, les mouvements néo-nazis d’Europe du Nord, les droites souverainistes d’Europe occidentale, les nostalgiques des dictatures militaires et les convergences populistes d’Italie. Toutefois aujourd’hui comme hier, (quand Mussolini, Franco et Hitler s’unissaient), leurs divergences pèsent moins que leurs ressemblances, leurs alliances, leurs intérêts communs. Tous ont en commun: l’exaltation d’un passé mythique menacé d’invasion, la haine des élites, des intermédiaires, bref de la politique et de la démocratie, le sarcasme et le cynisme envers la « bien-pensance » et le mépris des droits humains rebaptisés « droit de l’hommisme », la misogynie, le mépris des homosexuels et bien sûr le liant de toutes ces détestations, le rejet des réfugiés, des étrangers, la haine de l’islam et bien souvent aussi la haine des Juifs. Encore et toujours.

L’extrême droite, quelles que soient ses déclinaisons, demeure fidèle à elle-même, à ses traditionnelles obsessions. L’incroyable tolérance pour ses thèmes, ses porte-paroles, ses pseudo intellectuels, fait qu’aux yeux de beaucoup, on ne la reconnaît plus. Preuve s’il en est qu’elle est bien installée, légitimée, répandue, prête à prendre partout le pouvoir…

Des mots aux actes

L’extrême droite a pris le pouvoir au Brésil. Le samedi 27 octobre, elle a tué onze Juifs dans une synagogue à Pittsburgh aux USA.

L’attentat antisémite le plus grave contre des Juifs sur le sol américain a été perpétré par un néo nazi. « Je ne peux pas rester sans rien faire pendant que mon peuple se fait tuer ». Le terroriste Bowers (que son nom soit effacé) justifie son geste par la légitime défense, as usual…

En déchargeant son fusil d’assaut, il a crié « Jews must die ». Comme la suite, l’épilogue du rassemblement meurtrier de Charlottesville d’août 2017 où des suprémacistes blancs, néo nazis, fans du Ku Klux Klan avaient alors entonné, entre autres slogans « Jews will not replace us ». Le « grand ami d’Israël » qu’est Donald Trump les avait pourtant qualifiés de « fine people »…

Dans l’Amérique de Trump où la parole raciste, misogyne, homophobe a ses quartiers à la Maison Blanche, les salauds se sentent légitimes.

C’est un peu ce qu’écrivent des représentants juifs de Pittsburgh à Donald Trump, l’accusant d’enhardir une parole raciste et décomplexée.

« Vous n’êtes pas le bienvenu à Pittsburgh tant que vous ne dénoncerez pas fermement le nationalisme blanc… La violence survenue hier est (le résultat) direct de votre influence… cessez de cibler et de mettre en danger toutes les minorités, les migrants et les réfugiés ».

Leur synagogue liée à l’HIAS (Hebrew Immigrant Aid Society) venait de récolter plus de 7000 dollars pour venir en aide au réfugiés. Ici comme dans les discours contre Soros, les Juifs sont doublement haïssables: d’être ce qu’ils sont et de contribuer à la corruption de la nation par le métissage généralisé.

Le vieux complot juif se dit aussi en anglais où un antisémitisme, qui n’a rien de nouveau, dénonce la domination mondiale des Juifs par leur contribution majeure à la dilution des frontières nationales, seules à même de redonner aux peuples leur dignité perdue…

Les adeptes du « grand remplacement », ceux qui depuis quelques années se sont employés à noircir des pages et des cœurs, multipliant colloques et pétitions pour dénoncer le « nouvel antisémitisme » observent, à ce jour, un silence prudent. On aimerait qu’il dure… Les mésalliances avec l’extrême droite, véritables trahisons de toutes les valeurs du judaïsme, qu’ils ont tolérées, encouragées voire théorisées apparaissent aujourd’hui plus que jamais dans toute leur indécence. A l’instar de l’amitié entre Netanyahou, Trump, Orban. Dans la synagogue de Pittsburgh, onze femmes et hommes sont devenus malgré eux les terribles illustrations de l’obscénité de cette alliance.

Au moment de l’assassinat de Sarah Halimi, cette femme de 65 ans défenestrée par un voisin en avril 2017, un étrange silence médiatique avait suivi, duré. Comme si la crainte de dénoncer le probable mobile antisémite avait fini par occulter jusqu’au crime lui-même.

Les tenants de la réaction avaient alors interprété ce silence embarrassé comme la preuve tangible d’une indulgence coupable envers l’islam et les musulmans…

Pour Pittsburgh, rien de tel, pourtant la condamnation de cet attentat antisémite, non encombré des prudences hexagonales, a peiné à trouver les mots justes. Et ce, jusqu’au sommet de l’Etat… Comme s’il y avait des mots trop gros, trop chargés d’histoire et de culpabilité, des noms trop difficiles à prononcer.

Les mots concernant les Juifs et l’antisémitisme ont souvent fourché ou manqué.

C’est peut-être bien l’antisémitisme que l’on a du mal à nommer, ce sont peut-être les Juifs qui, souvent, demeurent innommables. Pas leurs ennemis

L’antisémitisme est un des noms propres de la haine, il sépare, désigne persiste et tue. Mais ce qui commence avec les Juifs finit rarement avec les Juifs.

Quand la haine a la parole, quand les « droits de l’homme » et les bons sentiments sont raillés, quand on justifie le rejet des étrangers, quand on sépare les familles aux frontières, alors toute l’histoire juive est à nouveau convoquée. En même temps que celle de toute l’humanité.

Désormais l’Amérique n’est plus un refuge possible et le monde semble se réduire au fur et à mesure de ces défaites et de ces amnésies.

Car les victoires de l’extrême droite dessinent un monde où l’Autre n’a plus sa place. Et où il n’y a presque plus de place dans le monde…

Il est peut-être temps que les démocrates se rassemblent et fassent front s’il n’est pas déjà trop tard. Face à la marée noire annoncée.

 

 

3 réflexions sur “ Pittsburgh, Brésil, la constellation de la haine ”

  • 30 octobre 2018 à 23 h 02 min
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    Très beau !
    Lire aussi la profession de foi d’Alain Chouraki, Directeur du Camp des Milles, (13), entre espoir et froid dans le dos, redigée il y a qq années et qui décrit très bien notre époque ! G

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  • 2 novembre 2018 à 9 h 47 min
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    Tout ce que tu écris est très juste.
    No comment …

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  • 11 novembre 2018 à 11 h 39 min
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    Comme tu as dramatiquement raison….
    Mais ne restons pas bras croisés pendant que les fachos s’organisent…
    Le temps est re-venu, je crois,de la militance, et de la transversalité.

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