Une tribune immonde

 

 Une Tribune immonde

 Un article odieux est paru sur Tribune juive. Son titre : 

 « Entre nous, qui pense vraiment que ces migrants sauvages franchissant les frontières (Ceuta, Espagne) vont devenir des bons Européens ? » *

Probablement encouragée par les propos toujours plus ostracisants sur les réfugiés, l’immigration, l’islam etc. d’une certaine presse communautaire, l’auteure s’est senti pousser des ailes au point de larguer définitivement les amarres. 

Le mot « sauvage », rescapé de la prose colonialiste et raciste, revient sans vergogne. 

Ainsi les réfugiés seraient des « sauvages qui se sont déjà rendus coupables d’actes de barbarie, de prises d’assaut, de franchissement illégal de frontières, prêts à tout, même à tuer, attaques au couteau, agressions gratuites, assassinats, crimes terroristes… »

La menace d’un coup d’Etat fasciste y est à peine voilée :  

 « Aucun des partis actuels ne semblant capable d’appliquer une telle politique, ni même de l’envisager, il y aura donc inéluctablement l’apparition de mouvements, peut-être déjà en gestation, qui surgiront et répondront aux attentes des Français. Et qui ne passeront peut-être pas par des voies entièrement démocratiques. »

 Cette prose nauséabonde nous rappelle celle des annnées 30. «

« Sommes-nous le dépotoir du monde ? Par toutes nos routes d’accès coule sur nos terres une tourbe de plus en plus grouillante, de plus en plus fétide. C’est l’immense flot de la crasse napolitaine, de la guenille levantine, des tristes puanteurs slaves, de l’affreuse misère andalouse, de la semence d’Abraham et du bitume de Judée, …Doctrinaires crépus, conspirateurs furtifs, régicides au teint verdâtre, pollacks mités, gratin de ghettos, contrebandiers d’armes, pistoleros en détresse, espions, usuriers, gangsters, marchands de femmes et de cocaïne… ceux-là ne cessent d’insulter à notre patriotisme » écrivait Henri Béraud dans Gringoire en août 1936.

Depuis toujours le fascisme a dénoncé dans des termes orduriers, l’« invasion » des immigrés, des Juifs et autres métèques. Le style aussi est une signature, ce fameux « entre nous » aux relents céliniens qui annonce la connivence complice, requiert la meute et en appelle à la chasse. Un « Entre nous » qui signe une sortie de la clandestinité d’une pensée honteuse vers l’affranchissement d’une parole raciste. Un peu comme les propos de Le Pen qui se vantait de dire « tout haut ce que tout le monde pense tout bas ». 

Rien n’a changé, à part la stupeur de constater que cette terrible prose a pu trouver asile dans un hebdomadaire nommé « Tribune juive ». 

Cet « entre nous » assassin n’est pas le nôtre. 

Un « entre nous » sans nous 

Voilà des mois et des années que l’on assiste à une contamination sans précédent de thèses et des valeurs d’extrême droite au sein de ce qu’on appelle la « communauté juive ». 

L’alibi de la « lutte contre l’antisémitisme » tout comme la défense des droits des femmes, la dignité des homosexuels, voire la laicité semblent avoir vaincu les réticences de beaucoup. Il s’agit pourtant d’autant de chapardages décomplexés d’une famille politique dont toute l’histoire, tant ancienne que récente dément pareilles prétentions.

Nous sommes nombreux à vivre dans la douleur et le désarroi cette descente aux abimes. La misanthropie voire le racisme affichés d’une certaine presse et d’ « intellectuels communautaires », tout cela dans le silence bienveillant d’institutions qui entendent parler en notre nom, est révoltante. Comme nous révolte l’amitié affichée entre Trump, Nethanayu et Viktor Orban ou encore la défense belliqueuse et inconditionnelle de la politique du gouvernement israélien que nous sommes nombreux à réprouver. 

L’auteure de cet article abject ne mérite sans doute pas de sortir de l’anonymat, pas plus que le confidentiel « Tribune juive » qui désormais ne devrait plus servir à autre chose qu’à emballer le poisson. 

 Toutefois la parution dans un journal juif d’une telle obscénité ne peut pas nous laisser indifférents. 

Il a fallu bien des dérives pour en arriver à un tel naufrage.  

Le repli communautaire encouragé par les réseaux sociaux et son « entre soi » toujours mortifère les a permises ; paroles essentialisantes, déshumanisation de l’Autre, affranchissement des « tabous », partage sans vergogne de sites et de thèses d’extrême droite. 

Le racisme et l’extrême droite, c’est un peu comme l’antisémitisme quand on n’est plus capable de les reconnaitre, c’est qu’ils sont bien installés.  

 Que l’on soit né sur ses rives ou pas, comment ne pas pleurer en pensant que la méditerranée est devenue un grand cimetière ? Face aux Aquarius errants et aux naufrages en mer, comment ne pas penser à l’Exodus, à
« Welcome in Vienna »,
à ce monde qui se ferme comme il s’est fermé jadis, à nos aïeux dont beaucoup furent eux aussi des « sans papiers ». 

 « Je suis juif, parce qu’en tous lieux où pleure une souffrance, le juif pleure. Je suis juif parce qu’en tous temps où crie une désespérance, le juif espère. » fut la définition de Edmond Fleg en 1928, dans Pourquoi je suis juif. 

Longtemps, cet humanisme a fait notre fierté, il était notre fidélité à nos anciens en même temps que la condition de la transmission. 

 Car de quelles valeurs pourront se réclamer les nouvelles générations si nous restons silencieux face à ce flot de haine, face à un tel naufrage ? 

Moins mortel que celui des hommes, des femmes et des enfants qui chaque jour se noient en mediterranée, (3200 d’entre eux ont péri l’an dernier), ce naufrage risque bel et bien d’en finir avec l’humanisme juif et son désir de justice qui pendant des siècles d’épreuves et d’hostilité avait pourtant résisté. 

Même après la Shoah, les Juifs n’avaient pas sombré dans la haine des Autres. Longtemps, le malheur juif servait de repère intime, de boussole face au malheur du monde. L’injustice et l’oppression subies par d’autres étaient autant de convocations à la solidarité. Comme si les Juifs ayant vécu l’abandon du monde ne pouvaient pas à leur tour reconduire cet abandon. Lutter contre l’antisémitisme, n’est-ce pas aussi aussi préserver, malgré lui et contre lui, des valeurs et une éthique qui nous ont maintenu vivants. L’abdication de ces valeurs n’est-elle pas une des plus belles victoires de l’antisémitisme ?

Si les lois du Sinaï ont été brisées par les nouveaux idolâtres du Grand Remplacement, il existe les lois de notre république et celles de la déclaration universelle des droits de l’homme, tout aussi sacrées . « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

Les propos racistes méritent le tribunal, quant aux auteurs et relais de cette pensée mortifère, qu’ils ne parlent plus en notre nom. Ce nom qu’ils salissent et trahissent à longueur de tribunes haineuses et racistes et d’alliances contre nature. Car ce nom est aussi le nôtre, celui qui n’a pas oublié l’injonction biblique à se souvenir de l’exil et qui continue d’écouter cette parole : « Tu aimeras l’étranger comme toi-même, car tu as été étranger en terre d’Egypte ».

Que ces fossoyeurs fassent donc silence. Car ils ne devraient plus pouvoir compter sur le nôtre.

Brigitte Stora

 http://www.tribunejuive.info/international/entre-nous-qui-pense-vraiment-personne

8 réflexions sur “ Une tribune immonde ”

  • 7 septembre 2018 à 7 h 19 min
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    J’ai pour ma part aussi réagi à cet article nauséabond, et s’il prétend être le porte parole d’une parole juive : bête et dégradant . Merci pour votre article. Je ne sais comment faire, mais je serai tout à fait favorable à une démarche pour amener Tribune Juive et son auteur devant un Tribunal de Justice.

    Réponse
  • 7 septembre 2018 à 9 h 13 min
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    Incroyable et inaccessible mais pas étonnant avec un va t’en guerre comme Netanyahu suivi et adulé par une majorité d’israelien s.

    Réponse
  • 7 septembre 2018 à 22 h 10 min
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    Bravo pour la réaction de Brigitte!
    J’adhère sans restriction.

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  • 8 septembre 2018 à 9 h 04 min
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    Cette situation catastrophique que vous dénoncez à juste titre est la conséquence directe d’années de politique menée par Netanyahou et sa clique, qui oublient toutes les valeurs et tous les principes qui ont permis au peuple juif de traverser les siècles sans se renier. La clique en question et ses supporters vont jusqu’à traiter de « traitres » et de « gauchistes » les fonfateurs de l’État d’Israêl !

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  • 8 septembre 2018 à 22 h 18 min
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    Madame,

    J’ai lu votre texte à propos de l’article d’une auteure, Madame Lemoine, que nous avons publiée pour la première fois .

    Je refuse votre dégueulis sur Tribune juive , coupable de ne pas être d’accord avec vos idées politiques . Il se trouve que Donald Trump et Binyamin Netanyahu ont droit à toute mon admiration. Et je ne vais pas vous convaincre d’être de mon avis.
    «  La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde »
    «  Vous n’avez pas le monopole du cœur »
    Vous en souvenez vous ?

    Tribune juive créée en 1945 et qui , grâce au dévouement de bénévoles, à la confiance de nombreux annonceurs, à mes économies sacrifiées, continue de faire entendre sa voix.
    Et vous , à part vos phrases larmoyantes , à part vos consignes que vous voulez imposer à tout magazine juif , qu’avez vous fait ? Un article torchon sur un réseau social ?
    Madame Stora, vous avez trouvé «  una bella storia » pour alimenter votre blog à destination de vos copines ?

    Tribune juive ne partage pas les vues de Madame Lemoine mais c’est notre mission de publier les commentaires des uns et des autres. C’est notre nom : Tribune donc intervenants multiples.
    Je sens dans votre texte un mépris misérable . Je vous fais part de ma pitié à votre égard et vous souhaite une bonne année de clairvoyance et de douceur.

    André Mamou
    Rédacteur en chef

    Réponse
  • 12 septembre 2018 à 15 h 22 min
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    Merci Brigitte d’avoir avec talent trouvé les mots pour dénoncer cette insupportable montée du racisme. C’est abject.

    Réponse

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